“Pouvez-vous me parler des actes psychomagiques ?”

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Une bonne raison pour laquelle je tiens à dire un mot sur les actes psycho-magiques, c’est que leur pratique m’a ouvert au dialogue avec l’inconscient et m’a donné les outils pour avancer dans les constellations familiales.
L’acte psycho-magique est une découverte d’Alejandro Jodorowsky. C’est le résultat de différentes influences : vision créatrice de l’artiste sur le monde, relation avec des «guérisseurs» et travail sur l’arbre généalogique.
L’acte psycho-magique vient créer une expérience concrète et décisive qui fait que l’on ne peut plus être le ou la même après. Nous avons tous connu ce genre d’expérience, une fois dans notre vie, comme une borne temporelle, il y a un avant et un après; après, nous sommes différents…
L’acte psycho-magique parle directement à l’inconscient, dans son langage, le langage métaphorique; fonction que remplissait nos anciens rituels de guérison.

En mettant en scène ces actes symboliques, notre quotidien se transforme. Alejandro Jodorowsky utilise d’ailleurs la métaphore suivante pour expliquer la découverte des premiers actes psycho-magiques :
Nous trouvons dans l’arbre des endroits traumatisés, non digérés, qui cherchent indéfiniment à se soulager. De ces endroits sont lancées des flèches vers les générations futures. Ce qui n’a pas pu être résolu devra être répété et atteindre quelqu’un d’autre, une cible située une ou plusieurs générations plus loin.
Certaines flèches sont lancées vers vous, ce qui n’est pas folichon, vous en conviendrez. Surtout que l’inconscient est réputé tenace. C’est une flèche à tête chercheuse. Bien sûr, nous pouvons parfois la dévier, sans forcément l’arrêter. Par exemple, un fantasme très fréquent dans notre société de culture judéo-chrétienne est celui du «sauveur», c’est celui de l’«enfant parfait». Ce fantasme peut programmer une flèche pour que l’aîné, qui s’appelle alors Christian, Christine, Emmanuel, etc., ait un accident et disparaisse à l’âge christique de trente-trois ans !
Une manière de l’éviter pourrait être de faire un enfant, car une loi de l’inconscient dit que face à un enfant, notre responsabilité nous interdit de l’abandonner (et mourir, c’est abandonner !). Cela peut donner un arbre généalogique où chaque génération fait un premier enfant au même âge : à l’approche du danger, on refile la patate chaude au suivant !
La flèche est déviée mais pas arrêtée.
L’idée lumineuse qu’a eue Alejandro Jodorowsky a été de créer un leurre pour cette flèche. Plutôt que de chercher à l’éviter, pourquoi ne pas lui fabriquer une fausse cible ? Pour l’inconscient, le symbole est réalité, laissons donc la flèche se planter une fois pour toutes dans une cible symbolique. C’est une manière pratique et harmonieuse de résoudre enfin ce qui cherche à l’être depuis des générations.
Dans l’exemple précédent la flèche a pour cible la mort à un certain âge, il suffirait donc de créer un rituel de mort symbolique à cet âge pour que l’inconscient collectif soit satisfait. Bien sûr, jouer à ce jeu symbolique demande une analyse claire de la flèche, quelle qu’elle soit, ainsi qu’une grande connaissance du monde symbolique (Alejandro Jodorowsky a d’ailleurs étudié des rituels de nombreuses régions du monde, et exploré ces univers non rationnels).
Les difficultés de guérison viennent du fait que nous sommes figés, bloqués, sur les conditions dans lesquelles le traumatisme est arrivé. Notre inconscient veut retrouver la guérison dans les mêmes conditions, c’est pourquoi il répète l’histoire dans l’espoir de revivre ce qu’il aurait dû vivre «à ce moment-là». Je sais intellectuellement que c’est impossible, mais l’enfant en moi le désire quand même, alors acceptons et offrons lui une résolution dans les mêmes conditions, mais symboliquement, et cela est toujours possible !
Symboliquement, il est possible de parler à un mort, de mourir, de renaître, d’être reconnu, de reconnaître, ceci à l’infini…
Là, l’imagination est au pouvoir !
Et surtout cela fonctionne ! Quand les ingrédients justes sont trouvés, les actes ritualisés sont de puissants outils de changement et de guérison.

« Pour adoucir les cailloux du chemin,
plutôt que de tapisser toute la route de cuir,
un petit bout de cuir à la dimension de nos pieds suffit. »
Proverbe tibétain

Un acte psycho-magique est donc un rituel qui peut aller de fabriquer un objet incongru, manger des lettres, porter des «déguisements», jusqu’à se faire enterrer, sauter en parachute, aller déposer un objet à l’autre bout du monde. La palette des possibilités est large. Cela peut être une chose apparemment anodine ou au contraire «politiquement très incorrecte» avec des éléments comme le sang, le sperme, l’urine ou les fèces. Chaque détail y est construit sur mesure, sur le mode poétique, onirique ou choquant, en tout cas celui qui parle à l’inconscient. Tous les objets, les éléments qui composent ce rituel deviennent «magiques», car chargés de significations pour l’inconscient.
Chaque acte correspond pour la personne qui le reçoit, à son histoire, il n’est donc pas reproductible en série pour d’autres personnes. Il s’agit de tout sauf de «recette», c’est pourquoi il demande une grande expérience de la part du prescripteur. Il est toujours frappant de voir comment réagit le corps à l’écoute d’une prescription d’acte, les yeux se mettent à briller, la personne «sait», «sent», que c’est ce qu’il lui faut.
C’est une manière élégante et courageuse de reprendre «la main» sur son destin, d’agir sur ce destin, tel le héros mythologique, qui par la ruse, obtient des dieux ce qu’ils lui refusaient au départ.
La symbolique y est reine, comme par exemple, pour partager un secret, de l’enregistrer sur une bande magnétique et de se servir de cette bande pour la faire flotter dans le vent et l’offrir comme ficelle enrobant un cadeau, ou par exemple, de porter des boules chinoises dans son slip pour ensuite les faire reconnaître. Ces choses peuvent choquer un esprit rationnel, mais leur pouvoir de transformation est indéniable.

Témoignage

Histoire d’un acte très «doux»
Le pommier d’amour !
C’est l’histoire d’un acte « psycho-magique », mais d’abord d’une lettre, lettre à des parents qui ont été si loin de ma chair et de mon cœur. J’ai écrit cette lettre au début d’une thérapie, un jour ou je contactais en moi cette colère si difficile à exprimer, j’étais comme une cocotte-minute dont la soupape cherche à exploser !
Mots couchés sur le papier : expression de moi, mais pas complètement libérateurs. Cette lettre avait des destinataires et devait donc continuer sa mission. D’où cet acte élaboré avec Éric: un jour d’été, sur les coups de l’angélus, j’arrive dans le cimetière où sont enterrés mes parents. J’ai sculpté dans le bois du berceau de mon enfance une petite statue représentant ce qu’ils attendaient de moi et qui m’a tant pesé. Je vais la leur rendre. Décidée, le cœur serré, debout devant leur tombe, déguisée en petite fille, je fais la lecture de cette lettre à haute voix. Émotion, larmes. C’est le moment ou jamais pour aller vers une réparation ou tout au moins essayer de remettre un maillon à cette chaîne familiale que j’ai tronquée… honte et prémisse d’une future rencontre plus apaisée malgré la difficulté. Mots, pleurs, c’est dur mais ma voix ne s’étouffe pas et je continue à livrer tous mes ressentis, tous ces mots écrits sur ces pages blanches.
J’ai restitué à mes parents, qui ne sont plus, ce qui leur appartenait, ces dépôts que je gardais en moi, inavouables jusqu’à ce jour, avouables maintenant, en ces instants.
L’étape suivante consistait à brûler cette lettre sur la tombe et répartir les cendres sur la pierre tombale, dans les moindres interstices comme pour les rejoindre dans cette terre. Tout retourne à l’état de cendre ! Restitution d’un non-dit étouffant et paralysant. Ensuite, après ces actes, je finis par quelque chose de plus doux. Je ré-harmonise, je redonne de la douceur à cette relation-là. J’étale du miel sur chacune des lettres écrites sur cette tombe : nom, prénom, date de naissance, de mort, comme une réconciliation et une reconnaissance de qui ils ont été, et de qui je suis issue. Je m’apaise. Il ne me reste plus qu’à fleurir cette tombe. Le matin même j’avais décidé d’acheter un petit rosier (mes parents aimaient les roses), il en fut autrement, je me suis laissée guider car je devais prendre la première plante sur laquelle mon regard s’arrêterait, ce fut un joli petit pommier d’amour et cela me semblait plus juste. Posé dans le pot en zinc où j’avais brûlé ma lettre, je le dépose au pied de la tombe. J’arrive au terme de cet acte, je suis fière de moi, malgré la difficulté tout m’a semblé plus facile que prévu, je m’étais préparée et j’étais prête ce jour-là.
Fin du premier acte.
Cet acte m’a demandé un an de gestation, problème géographique et de disponibilité. Au terme de cet acte, un morceau de puzzle dans la reconstruction de mon arbre s’est mis en place, me permettant d’avancer dans l’acceptation de ces liens qui sont les miens. Ce fut par moments impensable à réaliser, en plein cœur d’un petit village où je peux être aperçue, reconnue… J’ai laissé le temps au temps, et la préparation s’est mise en place en moi de façon logique, sans soucis majeurs, comme dictée
et accompagnée: ne pas avoir peur et sentir que c’est juste. Au terme de mes vacances dans cette région, quinze jours après, je retournai au cimetière avec ma famille (mon mari et mes enfants). Quelle ne fut pas ma surprise ! Un deuxième pommier d’amour fleurissait la tombe. Coïncidence ?
Je sus quelques temps plus tard que c’était ma marraine qui avait déposé le second… et qu’elle avait pris soin du mien !
J’ai plaisir à revoir ces deux pommiers d’amour, un an après sur la tombe de mes parents.
Fin de l’acte 2.
NB : Cet acte a été élaboré avec Éric en fonction de mon histoire, il m’est personnel… Il ne peut donc en aucun cas être attribué à quelqu’un d’autre.
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